On m’a posé cette question : libertinage et BDSM, lequel découle de l’autre ? J’ai souris tout d’abord. Puis je me suis rendu compte que la question en fait n’était pas si bête. Car elle sous entend, si par hasard il y a une réponse, que l’un serait soit supérieur à l’autre, ou que l’un serait l’évolution de l’autre. Et cela pourrait être une piste à l’évolution : devenir BDSM puis libertin ou l’inverse. Malheureusement la réponse à cette question est : aucun ne découle de l’autre. Ils se sont toujours côtoyés depuis la nuit des temps. Et leur grand malheur c’est d’avoir des outils communs. En l’occurrence, outre le matériel, je parle de mains, bouche et organe sexuel. Ces mêmes qui nous permettent de procréer et d’assouvir des besoins naturels. Remontons le temps… 1) Erectus, Horus, Romulus et Remus
C’est l’Homme qui a détourné notre pulsion de reproduction pour en faire un acte de pure plaisir pour certains et philosophique pour d’autres. Voire un moyen d’assouvir d’autres besoins comme exercer un pouvoir ou au contraire se sentir écrasé par lui. A la base, que tout n’est que chimique : la pulsion de reproduction animale est stimulée par l’hormone du plaisir dont le message est clair « reproduis toi et tu auras une récompense sous forme de shoot endorphinien ». A cela nous sommes pareils que les animaux. Mais il n’y a que l’Homme pour y ajouter une petite dose de perversion. La sexualité bigarrée et dominante apparaît très tôt et est même mythique puisqu’Atoum est un dieu égyptien qui possède à la fois l’essence du masculin et du féminin et qu’il donne naissance en « s’auto fertilisant » à la première paire de dieux. Et on peut parler du viol d’Horus par son frère Seth. La mythologie égyptienne, grecque et même celle du premier testament regorge d’allusion à la domination polysexuelle. Socialement en Grèce Antique, on rappellera que les fondateurs de la démocratie n’avaient pas aboli l’esclavage et que les disciples mâles de type éphèbe étaient éduqués par leurs ainés culturellement mais aussi analement. On prenait dors et déjà l’éducation très au sérieux. On pourrait parler d’une tête bien faite et d’une fesse bien pleine. La culture du corps n’était pas que sportive. Et Dionysos était fêté de manière codifiée avec les plaisirs esthétiques, intellectuels et sensuels. Passons à la Rome Antique (et non pas la rime en toc), avec son esclavage social et ses orgies. Orgie sous le signe de l’excès sous toutes ses formes qu’elles soient ripaillantes ou sexuelles. Evoquons avec un sourcil froncé cette période des Saturnales où les maitres servaient leurs esclaves. La Rome Antique vue les débuts de la somesthésie et les techniques liées à la connaissance et aux plaisirs du corps (massage, bain, éducation érotique). Quid du libertinage et du BDSM ? Le BDSM se retrouve (a tort, vous verrez pourquoi) dans l’esclavage. Et le libertinage dans les orgies. L’acte sexuel sous tout ses aspects (notre notion de la pédophilie, polygamie, homosexualité, bisexualité, …) et l’asservissement était plus que normaux : ces deux principes faisaient parti des fondements de la société. Si on était « mâle » c’est qu’on était actif quel que soit le partenaire passif qui pouvait être homme, femme ou esclave. 2) Et l’homme devint Dieu La chrétienté a bousculé ces fondements. En occident tout du moins. En Orient et en Afrique, ces principes sont restés jusque très tard. Au moyen âge on retrouve les orgies et les serviteurs. Les deux sont mêlés quelquefois et ce jusqu’à la Renaissance. Cette Renaissance paradoxale où l’Eglise martelait que l’acte sexuel n’était réservé qu’à la reproduction (et que donc l’homosexualité doit être interdite) que tout plaisir sexuel était l’œuvre du diable. Elle instaure donc la monogamie et le consentement mutuel pour le mariage. Du côté des nobles, on continuait cependant les mariages arrangés pour les jeux d’alliance et une sexualité débridée où les orgies font place aux ballets royaux qui célèbrent les ardeurs du coït. Epoque merveilleuse, ou l’on voit apparaître des mots nouveaux comme les phoenicissare (phéniciens). Mot que l’on attribuait aux « cunilingues » pendant des règles et qui donnait les lèvres rouges comme les phéniciens. A l’image de Sénèque dont on dit qu’il attendait la bouche béante les menstrues de ses servantes. Les premiers préservatifs et godemiché apparaissent aussi. C’est de la Renaissance que nait le Libertinage qui est en fait libertaire. Un mouvement qui s’inscrivait contre les préceptes religieux et qui prônait la liberté sexuelle, le plaisir et qui intellectualise ce que les nobles vivaient. Cette intellectualisation qui fait naître l’Humanisme vient d’une ouverture d’esprit généralisée. La culture générale, le retour aux textes anciens, le gout du voyage et de la découverte. Cette période qui voit Léonard de Vinci et Mozart, Rabelais, Montaigne qui fera la différence entre libertin, libertinisme et libertinage. L’Homme libre, donc libertin, tend aussi à l’épicurisme. Il s’affranchit de la religion et du joug. Parmi les épicuriens libertins, mon favori reste Sade, dont la reconnaissance de son œuvre, à mon avis, n’est pas encore à son apogée. Mais il a eut des prédécesseurs quoique plus timides. Brantôme écrit aux alentours de 1610 « Les Dames galantes » en s’exprimant ainsi : « tout homme domine la femme qu'il possède, même s'il est son inférieur dans la hiérarchie sociale : … la victoire est bien plus grande quand il tient sa douce ennemie abattue sous lui, et qu'il la subjugue et la dompte à son aise et comme il lui plaît ; car il n'y a si grande princesse ou dame qui, quand elle est là, fût-ce avec son inférieur ou inégal, n'en souffre la loi et la domination ordonnées par Vénus parmi ses statuts ; et la gloire et l'honneur en demeurent très grands à l'homme... Pour une femme, c'est une fâcheuse souffrance que d'être subjuguée, ployée, foulée... et de devoir dire : Un tel m'a mise sous lui...". On peut parler de Pierre Choderlos de Laclos, auteur des liaisons dangereuses : « “L’homme jouit du bonheur qu’il ressent, et la femme de celui qu’elle procure. Le plaisir de l’un est de satisfaire des désirs, celui de l’autre est surtout de les faire naître.” Ainsi le terme Libertinage regroupe en une seule entité le plaisir de la chair sans tabou et une forme de domination différente de l’esclavage social. Cet état de fait deviendra philosophie sous la plume de Sade. On ne domine plus de part un statut, mais on crée son statut en embrassant sa propre nature. On domine sexuellement car on a en l’envie et la capacité (on revient au principe de la Rome Antique avec le fait que le mâle est celui qui est actif). La sexualité est donc large avec tout un panel de possibilités seulement définit par l’envie ou se mêle pratiques libertines et domination. Il n’y a pas de clan. On retiendra, pour résumer, que le libertinage et le BDSM moderne ont la même mère : ils sont agnostiques, voire athées, prérévolutionnaire, libertaire, en recherche de naturalisme et se base sur l’humanisme. C’est ici leur véritable naissance : ils ne se subissent plus comme dans l’Antiquité : ils sont choisit. 3) Modernité : le schisme thématique (400 ans pour ça) C’est au cours du 20ième siècle que les choses vont changer. Le Libertinage avec une majuscule va devenir libertinage avec une minuscule car il va perdre un panel de pratiques qui sont illégales. Le couple monogame hétérosexuel restera la norme sociale. Le libertinage tel que nous le définissons aujourd’hui aura plus de place face à des pratiques comme le sado-masochisme qui seront classées comme perversions. Le libertinage hétérosexuel se développera plus facilement et se contentera du plaisir du corps sans restriction, devenant de fait une portion congrue du Libertinage de la Renaissance qui n’avait pas de barrière. On séparera les sadomasochistes, des fétichistes, des homosexuels. On oubliera même la relation D/s qui était une forme de norme sociale inavouée puisque la femme restait au foyer, qu’elle n’avait pas le droit de vote, ni de compte en banque sans l’accord de son mari. Nous avions donc d’un côté le libertinage type partouze flower power dans les années 60-70, tandis que l’homosexualité, le bondage, le SM et autres fétichismes se pratiquaient underground. Les pratiquent se séparèrent aussi et leur "rassemblement" est récent puisque le terme « BDSM » dont tout le monde connaît la signification, n'apparait qu’en 1991….sur l’ancêtre d’internet : Usenet. Le BDSM rassemble donc ce que le libertinage fut contraint d’abandonner. Pervers de tous horizons, unissez vous ! C’est pourquoi on dit « chacun son BDSM ». Car il a subit un morcellement et que les pratiquants furent éparpillés, étiquetés et qu’ils se retrouvent sous l’égide d’une philosophie qui n’a jamais été établie. On croit le libertinage moderne homogène pourtant, lui aussi, est morcelé avec son cortège de couple libres, partouzeurs et autres gangbangueuses. Lui aussi a ses étiquettes : échangisme, partagisme, cotacostisme, bi passif, bi actif, voyeurs, exhibitionniste, triolisme, etc…le libertinage à la mode gonfle sous la demande et mélange allègrement des pratiquants bigarrés à tel point que lui aussi devrait avoir ses propres règles. 4) Je pense que je vais conclure (Jean Claude Duss) Pour terminer, je reviens à la question qui m’a été posée. Le libertinage et le BDSM ne découlent donc pas l’un de l’autre. Ce sont deux frères dont on confond les pratiques. Car d’un point de vue technique, vue de loin, on ne fait pas la différence entre une libertine bisexuelle qui fait un cunnilingus d’une soumise hétéro qui honore une autre femme. La première suit naturellement son instinct et ses envies, l’autre s’y confronte et évolue. On ne distingue pas un homme vanille qui donne une fessée à sa femme et un maître qui fait évoluer sa soumise en lui apprenant à transformer la douleur en plaisir. On ne voit pas la différence entre la tenue sexy en latex d’une gothique dans une skin party, d’une soirée échangiste sur le thème eye wide shut et une fétichiste catgirl qui lape dans une gamelle devant son maître. La où un vanille sodomise sa femme en se prenant pour le roi du monde, le maitre se complait dans sa propriété. Mais dans la jouissance, le lien, il n’y a pas grand chose qui les distingue. Pour certains le libertinage et le BDSM devraient faire bon ménage. Car le lien qui unit un maître et sa soumise et celle d’un couple échangiste est souvent le même : la confiance plus forte que la jalousie, les peurs. Le désir renforcé par l’appartenance. De mon expérience, et ce n’est que mon avis, le libertinage moderne reste inférieur au BDSM car il s’est éloigné de son essence. La liberté sexuelle ne rivalise pas avec la notion d’emprise, de domination et de propriété. L’intensité est plus forte dans le BDSM car la notion d’évolution force la conscience à embrasser tout l’être. La ou le libertinage se contente de jouir par le corps, le BDSM fait tilter l’esprit. Pour moi, le libertinage est un loisir alors que le BDSM est une philosophie. Et pourtant, leur essence est la même. Conclusion : voyez-vous mon étendard érigé ? Je suis pour une ouverture du BDSM à «monsieur et madame tout le monde ». Il est temps de lui rendre ses lettres de noblesse et sa fierté. L’ouverture au monde permet de stopper le côté underground et décomposé. Histoire d’O a révélé des pulsions, 50 nuances de Grey l’a rendu accessible. Alors oui, on a maintenant une flopée de soumises en herbe qui présentent leur petite fleur naïvement tandis que des queutards frustrés dégainent leur fusil prêts à décharger. C’est pour cela qu’il faut des règles et que les vrais pratiquants doivent sortir de l’ombre. Le BDSM de l’an 2020 reste à définir. Mais c’est dans son essence d’être floue car il respecte les envies, les espoirs, les pulsions de chacun. Dans ce bouillon de cul-ture, l’esprit libertaire s’étend, refusant la tyrannie d’une poignée, s’ouvrant à un vrai esprit de liberté et d’accomplissement.
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Auteur
Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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